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Parle-moi d'Amour de Philippe Claudel

Un thème universel revisité par Philippe Claudel

Lorsque je commence à lire "Parle-moi d'amour" en 2012, je suis séduite dès les premières lignes par le style, le sujet, le cadre et les personnages. Dans ma tête, chaque page tournée se transforme en tableau à trois dimensions.

Je retrouve toutes les questions que je me pose depuis plusieurs années au sujet du couple : comment réussir à vivre ensemble, à murir ensemble, construire ensemble, s'approcher petit à petit de la fin de la vie sans s'oublier soit même, sans se perdre dans l'autre.

Je cherchais un texte qui parle d'amour, de l'amour vrai, celui qui dure et qui traverse les années avec tout ce que cela impose.

"Parle-moi d'amour" répondait à cette quête en me permettant de chercher des réponses à toutes ces questions, sans pour autant avoir la prétention d'y répondre, mais du moins de commencer le chemin.

J'aime cette façon de parler de l'amour qui n'est pas qu'un beau sentiment guidé par la carte du tendre, bordé de rose, de cœur et de parfums enivrants. L'amour n'est pas qu'une émotion humaniste, généreuse et fédératrice. L'amour peut être sale, rude, vrai, sadique, cynique, provocateur sans pour autant être vulgaire. L'amour est une drogue dont on ne peut se passer. Ou plutôt c'est l'autre qui devient une drogue, l'amour n'est que le nom que l'on met sur cette addiction.

Parler d'amour c'est aussi parler de soi, de son égoïsme voire de son égocentricité puisque l'on semble être incapable de vivre sans l'autre.

Dans cette pièce "Femme" et "Homme" se disent tout, ne s'encombrent pas de faux semblants. Tout y passe. Il n'y a plus aucune limite, ni respect pour l'amour et les désirs des premiers temps. Plus aucun tabou non plus.

Philippe Claudel signe ici un tableau de la société qui passe en revue ses divers travers tous domaines confondus : l'éducation des enfants, le sexe, les relations avec les parents, l'ambition professionnelle,

la chirurgie esthétique, la jalousie, l'infidélité, les faux intellectuels, le petit personnel immigré sans papiers, la famille, les collègues de travail...

N'est ce pas cela le vrai amour ? Pouvoir tout se dire, tout entendre, et pourtant vouloir continuer la route ensemble ?

"Parle-moi d'amour" est une pièce drôle, grinçante, cruelle, satyrique, parfois même cynique mais toujours juste ... Et comme l'humour est pour moi le meilleur vecteur qui soit, cette pièce est la parfaite alchimie du fond et de la forme.

 

Le lit comme espace de jeu

La scénographie de la pièce repose essentiellement sur le lit : élément central du décor. L'évolution de cet élément est en résonnance avec l'état psychologique des personnages pendant cette heure de dispute conjugale.

A la lecture de la pièce j'ai voulu que la scène se passe dans la chambre à coucher du couple car c'est pour moi un symbole fort. Le Lit prend une dimension toute particulière. C'est le lieu de la discorde, des confidences, des compassions, des promesses, des compromis, des réconciliations...

J'ai souhaité aussi que la scénographie souligne la symétrie qui existe dans le couple : deux personnes, deux vies, deux parcours, deux aspirations, deux espaces distincts.

Le Lit apparait comme une frontière, un miroir, un espace neutre, un ring.

Le décor est simple, minimaliste mais il recrée rapidement l'intimité de cette pièce où les inconnus ne rentrent pas. Chacun pourra s'y identifier et se retrouver dans cet univers symbolique.

Un lit, deux tables de nuit, un fauteuil pour lui, une coiffeuse et un tabouret pour elle. Un paravent...

Au cours de la pièce le grand lit unique se transformera en deux petits lits simples : chacun son espace, chacun son individualité.

A ce moment là les personnages essaieront de s'imaginer vivant seul. Une solitude qui peut résonner comme une liberté mais aussi comme un manque, une souffrance. Comment vivre seul quand on a vécu si longtemps ensemble. Et comment recréer son individualité sans être influencé par l'autre ?

A la fin de la pièce avec la réconciliation viendra le moment de recréer le lit conjugal, mais sur de nouvelles bases.

 

 

Le public comme troisième personnage

Outre l'importance du lit et de la scénographie une autre dimension me semblait primordiale dans ma mise en scène : la présence du public.

Et si le public devenait  témoin de ce règlement de compte ? Un règlement de compte en bonne et due forme ? Une heure de règlement de compte ? Ni sang ni artillerie  ... Les blessures ne seront pas physiques ... Les armes seront les mots !

Une invitation à entrer dans l'intimité d'un couple : "Bienvenues chez "Femme" et "Homme" pour une heure précieuse pendant laquelle tout vous sera déballé sans pudeur ni faux semblants."

Nous voici devant deux phénomènes de foire, des monstres bizarres et pourtant si réel, si proche de nous ...

Le public est pris à partie et se retrouve au centre de l'histoire. Il retrouve certains de ses traits de caractère ou ceux de ses proches, il rit, s'indigne, il a parfois un peu honte aussi ... il ne peut pas être indifférent.

Il n'est pas seulement spectateur, il devient voyeur, juge, arbitre et partie prenante.

Pour cela il fallait que les personnage prennent en compte le public, lui parlent, demandent son avis... Nous avons travaillé dans ce sens en intégrant le public comme troisième personnage de la pièce. Est-il vraiment là en tant que public ou alors peut être sont-ce les voisins, les fameux Jauffrin ? Peut importe, le public est là et bien là dans cette mise en scène.

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